Misoprostol

De voir ton trop petit corps rond d’enfant mort, de vie arrêtée, de pas de cœur battant, dans ce ventre qui gonflait depuis presque trois mois et qu’on pensait bien en vie, ça a fait quelque chose comme un trou, une chute à terre inattendue, une inondation. J’ai pas dit un mot. Y avait rien à dire. Comment expliquer ça à ton grand frère, qu’il n’allait pas être grand frère, pas maintenant? «Pourquoi il est parti? Pourquoi?», a-t-il demandé. «Pourquoi?», de ses trois ans de grand frère qui t’a caressé, qui t’a chuchoté des mots avec affection et douceur, qui t’a aimé pour ce que tu allais devenir et lui faire devenir, qui t’appelait par tous les prénoms qu’on hésitait à te donner. Pourquoi? C’est la question qu’on ne pose plus à mon âge. On a appris que la vie n’a pas de raison, la mort non plus. Elles viennent toujours après, les raisons. Et puis il a fallu te sortir de là, t’expulser, te cracher, te saigner. Ça nous a fait mal, encore plus à ta mère, te mettre au monde pour que tes débris finissent dans les égouts. Excuse-moi, nous n’avons jamais voulu être de tels barbares. Je ne sais pas quand ta vie s’est arrêtée — ni pourquoi —, mais je veux te dire que je t’aime. Je veux te dire merci d’avoir illuminé nos vies comme une étoile filante. Je n’ai rien trouvé de mieux à dire à ton grand frère que tu es parti au ciel. On a encore besoin du ciel pour y mettre nos peines, nos raisons et nos souvenirs.